Dans la boucle, à Chanteloup-les-Vignes (78)
Texte de Paul-Hervé Lavessière, images de Florence Joubert
Chanteloup Triel, c’est une boucle de la Seine, de l’autre côté de Poissy. C’est dans les Yvelines, mais c’est pas l’ambiance Versailles. Mais pas neuf-trois non plus. C’est autre chose. La ville se délite, on est à la limite. C’est grand, on a des grandes emprises comme l'usine de construction PSA en bord de Seine. On voit plus du tout la Tour Eiffel depuis là, sauf si on monte sur l’Hautil. Mais il y a une raison pour laquelle on est encore à Paris ici et ça depuis longtemps.
      
Quand on traverse la plaine, au bord des chemin, y’a des sortes de gros cylindres ouverts en béton armé bien abîmé. Ca ressemble aux entrées des tuyaux verts du plombier Mario Bros. Elles arrivent à la taille et sont bouffées par la végétation.
      
Jusque dans les années 1980, les paysans de la plaine avaient parmi leurs outils une clé spéciale qui permettait d’ouvrir ces étranges fontaines. Alors se déversait dans les sillons de leurs champs un précieux fluide en provenance directe des cabinets de toilette de Paris intra muros, pompé et envoyé par les usines de Clichy et de Colombes dans des tuyaux énormes. Sans ça, on aurait jamais fait poussé la moindre salade sur ces terres trop pauvres. Sur les photos aériennes des années 1950, on voit bien les sillons creusés par les paysans.
      
Et puis dans les années 1980, on a fait une bêtise. Y’a eu de la pub pour les produits d’entretien nouvelle génération. Et la plaine a été polluée. Même destin pour Pierrelaye. Plomb et autres métaux lourds, la pollution est maintenant partout autour. On a même plus le droit de manger des légumes qu’on ferait pousser sur ces terres noires.
      
Et puis comme c’est une boucle de la Seine, le sous-sol abritait beaucoup de sable et avec les besoins énormes en béton à partir des années 1950, la plaine a été trouée dans tous les sens pour en extraire le précieux et remblayée avec ce qu’on trouvait pour.
      
Depuis quelques années, ce bout de territoire tellement abîmé par l’Histoire de la Capitale accueille les grands parisiens les plus pauvres. Un village entier venu de Roumanie a érigé un bidonville au centre de la plaine, et puis des baraques ça et là, avec des gens d’un peu partout qui ont en commun de vivre là parce que tout le monde a fui.
      
Aujourd’hui on réfléchit à faire pousser certaines essences bien choisies pour dépolluer ces drôles de terres. On a planté l’herbe à éléphant (myscanthus) sur une parcelle avec quoi on pourrait même fabriquer des pièces automobiles pour PSA de l’autre côté du fleuve.
      
Dans le sol, entre les rallonges électriques qui traversent la plaine d’une cabane à une autre, on enfonce les douilles de fusil laissés par les chasseurs.
      
Chasses d’eau et
Chasses royales
Métaux lourds
Poussière velour
Retiens la bien
Dans tes rizhomes
Laisse respirer
Les petits hommes.