Face à Paris, A Saint-Germain-en-Laye

Texte de Julien Bertrand

Au bout de la rue Thiers, à Saint Germain en Laye, il y a sous un lampadaire un banc de cinéma. Il annonce un escalier de pierre, qui descend dans la nuit sur une une large promenade faisant face à Paris.

Sous des airs de La la land parfaits, l’ouest opulent salue sa capitale, dans un alignement de pouvoir tantôt tracé sur plan, tantôt forgé par l’histoire.

Un banc de nuit, dans sa lumière de cinoche, à s’embrasser pour la première fois un soir d’été, le noeud au bide et les bras qui tremblent. Un banc à s’échouer au petit jour, après les verres de trop, à dévaler l’escalier en contemplant Paris et en se disant putain c’est beau. Quelle chance on a, tout ça, tout ça…

Saint Germain en Laye, pour moi, c’est le bout de la ligne A, d’où venaient des étudiants plus riches que moi. Pas parisiens, mais plus mondains, plus assurés peut être, égrenant comme des livres ouverts des marqueurs sociologiques évidents sans jamais s’en rendre compte. L’entre soi, qu’il soit d’en haut ou d’en bas, en fait oublier toutes ces petites traces qu’on laisse dans nos phrases, ses petits cailloux que l’on sème dans l’espace de nos conversations.

Autour de ce banc, on est une vingtaine, partis de Versailles, à arpenter des bouts de région parisienne pour en tisser un sentier. J’aime toujours penser, cela m’est venu tôt, avant de m’apercevoir que c’était un lieu commun, qu’il y autant de mondes, de regards portés sur “lui”, que de personnes. On est vingt regards. Combien voient l’amant éconduit, le soldat paumé, le fumeur solitaire, la bande bruyante d’adolescents bourrés, la police municipale qui vient veiller au silence du lieu…?

Je dis soldat parce qu’on nous emmène à deux pas se surprendre d’un bunker dans le jardin d’une résidence. Dans ce noeud de rues bien nées, il y a un passage voûté qui découvre un jardin entouré de neuf demeures cossues, et mitoyennes. La Cité Médicis. Ca ne s’invente pas.

Dans le rectangle d’un gazon bien taillé, le bunker allemand rappelle une occupation proche et lointaine. Saint Germain, lieu de villégiature des gradés d’une armée étrangère, qui se savait en danger. On le touche, on s’en étonne, cela nous change des plages de Normandie.

Mais l’histoire que je sens ici n’est pas l’éternel folklore de nos horreurs vécues, et affadies par un peu de mousse sur du béton mal intentionné. Ce lieu transpire comme nul autre l’entre soi, à l’abri des regards, et à proximité du pouvoir. Une grille au fond de la cité donne accès au Parc du Château.

J’imagine les sociologues de la bourgeoisie, le couple Pinçon Charlot, s’extasier devant ce modèle si pur de retrait du monde. Les façades parfaites, elles me rappellent Londres, la lumière tamisée derrière la fenêtre, un confort sans crainte. Ne nous hâtons pas jusqu'à dire sans problème, les murs doivent avoir mille histoire “Chabroliennes”.

C’est ici que naissent les habitus, le port altier du buste, les voies toutes tracées vers des vies bien placées. C’est ici que l’on écrit l’ennui, que l’on savoure la douceur de la vie quand au dehors l’époque gronde. C’est ici qu’après les avoir côtoyés je redécouvre leur monde.