L'invisible, à Réau (91)
Texte de Mathilde Mouton
Coincé entre la D306 et l'A5, dans un no man's land situé entre les communes de Savigny le temple et de Réau, le Centre héberge un peu moins de 800 détenus hommes et femmes: un véritable morceau de ville.

Construit au début des années 2000, il est emblématique de l’évolution des politiques carcérales au cours des dernières décennies, qui veut que les établissements pénitentiaires soient de plus en plus imposants, et soient construits de plus en plus en marge des villes.

Comme l’explique le géographe Olivier Milhaud, cette évolution répond à un double impératif de rationalisation des coûts et d’hypersécurisation des établissements pénitentiaires. Pour générer des économies d’échelle, l’administration pénitentiaire ferme les petites prisons et construit des établissements de plus en plus grands, réunissant plusieurs quartiers au sein d’un même lieu. Les nouvelles prisons obéïssent par ailleurs à un cahier des charges très contraignant, imposant une surface d’au moins 10 hectares pour accueillir les différents quartiers de détention, les bâtiments administratifs, un terrain de sport, et laisser la place à un glacis extérieur de protection. Ils doivent être construits sur un terrain plat évitant tout surplomb, de sorte à empêcher toute forme de communication avec l’extérieur.

Ces contraintes techniques mènent à privilégier des terrains bon marché en périphérie des centres urbains, loin de toute activité humaine, rendant ainsi plus difficile le maintien des liens familiaux et la conduite d’une véritable politique de réinsertion.

Si elle s’explique en partie par des contraintes économiques et techniques, cette relégation spatiale semble également traduire une forme de rejet social de la prison et de négation de l’espace carcéral.

Sur le chemin entre la gare et le Centre, aucun panneau n'indique le chemin de l'établissement. Le caractère aléatoire des trottoirs bordant la route qui nous y conduit témoigne également de la non-prise en compte de ce trajet emprunté par des centaines de famille venant rendre visite à leurs proches incarcérés. Tout semble fait pour occulter la présence de ces 800 âmes sur le territoire: l'éloignement du centre-ville, l'absence de panneaux de signalisation, la rangée d'arbres occultant le Centre depuis la D306...

Créer du lien entre le dedans et le dehors, donner à voir l'invisible pour mieux briser les préjugés, c'est à cela que s'emploient chaque samedi matin les bénévoles de Champ libre, à l'image de ce bout de sentier parcouru ensemble ce matin.

Mathilde Mouton est bénévole au sein de l'association Champ Libre