Un cirque blanc dans la nuit, Entre Villeparisis et Jablines

Texte de Johanna Pernot

Rendez-vous gare du Nord à 8h.
Sur le quai 43, personne, enfin, nul visage familier
« Vous faites partie du Sentier ? »
Les randonneurs, en queue et en tête de train,
me dévisagent comme si j’étais membre d’une secte.
Combien seront là ? Un vieux tube tourne plein pot...
Quatre, trois, deux, un...
et je me demande si ce n’est pas zéro

Le RER se vide avant Villeparisis.
Heureusement, le café chaud de neuf heures
Nous réunit autour de Gilbert
(guêtres et bâton, œil vif : notre guide randonneur) Une barrière sectionne le bar –
On ne passe pas son ticket.

Avec ses tags sous ses ponts Le canal est bucolique
Voici l’avenue de la Forêt : Arche et faux colombages,
Tour médiévale années 2000
Se dressent sous le ciel pâle Village neuf échoué
Au cœur du boom économique
Les poubelles sont alignées.

Arrêt devant l’enseigne jaune et noire
Où Paul et Denis passèrent la nuit
41 € chambres duo/trio
Serrures déglinguées
Douches polyester
Hôtel social, hôtel d’urgence
Quatre ou cinq fois le jour disjoncte
Familles de six pour deux cellules
Premier étage : pays de l’Est
Second étage : Afrique
A huit heures, les enfants d’Accor partent à l’école
de la République

Nous sommes au bout du Grand Paris

Sauts de cabri entre les flaques, les pièges
des feuilles, guirlandes d’or...
Le canal vert est notre fil
Le gui danse dans les branches nues
Jusqu’à un ponton branlant –
Passage secret vers l’autre Monde

(Sa Majesté des Grands Bois et du parc de La Prée)
Le silence crisse de bronze et d’or
Trésor royal gardé
Par l’escorte roidie de chênes et de charmes
Au velours gris galbé
comme un dripping de Pollock !

Puis c’est la claque de la N3/Les couloirs de dioxyde/Le bouillon noir des conducteurs/

Carrefour Drive, Zone des Sentiers :
Des lapins géants miment
une danse plastique
sur les toits du capitalisme

Après Claye,
Au bout d’un chemin de terre,
Taches jaunes sous le dais noir des bâches
Les bottes de foins sont les seuls immeubles.
Au loin, œillères du pont TGV,
Nuages bleus assoupis dans les champs :
C’est ici que travaille Mustapha,
L’homme qui parle aux limaces
Qui laisse respirer la terre
Dans la serre tiède aux longs linceuls
Les salades poussent
Les vers mangent la pourriture
(Treize heures : pique-nique permaculture
Les insectes et les odeurs macèrent
Au milieu des thermos.)

Retour au calme du canal
Le viaduc aligne ses pavois japonais
Un pointillisme rouge grandiose
Sur une cascade de grafs – la gouttière de la Beuvronne

Km 14. Nous traversons des échangeurs
Une montagne touche les nuages :
Zone de terrils et de remblais,
D’aménagements avec le vrai
Au carrefour des TGV

Salut à Goldorak,
A la grande dame de fer qui se dresse dans l’azur !
Au milieu des porcs et des moutons noirs, des poules rousses qui creusent leur trou de malte fermenté
Des chênes, des fantômes qui refusent de pousser

La lumière est douce
Le sol disparaît au lieu de nulle part
Aux confins du 77
Au royaume du déchet, de la mafia amiante. Dans les chiottes du Grand Paris
Emerge l’utopie
Le triangle et la yourte d’Agnès
aux yeux de lumière bleue
L’Amazone des Monts Gardés
La véritable amante.

La nuit tombe sur le clocher d’Annet
La nuit est tombée sur la Marne et Jably :
On distingue encore la base nautique et la plage –
un cirque blanc dans la nuit.