Vue d'en haut, à Argenteuil (95)

Texte de Julien Bertrand

Ce sont des buttes du haut desquelles on a envie de hurler à Hong Kong et à New York “Nous aussi on a une skyline les cocos!”.

Les buttes du Parisis... Tu connaissais pas?
Moi non plus. En mode aucune idée de leur existence même.

D’anciennes carrières de gypse, du plâtre à plus savoir qu’en faire pour bâtir Paris, enduire Paris, embellir Paris, puis mines épuisées, réhabilitées, remblayées, rendues au public, une ligne de bois pour toute assise sur la crête. Une épure de parc à la Scandinave. De grandes étendues d’herbes qui tombent sur Argenteuil et ses quartiers résidentiels dépareillés. Ils me rappellent les quartiers de mes grands-parents dans l’Essonne, Athis-Mons, Draveil, les maisons de granit aux odeurs de petits univers clos et de barbecues.

Deux amoureux rejouent le déjeuner sur l’herbe avec la Défense derrière eux. Il nous manque un impressionniste dans l’équipe, pour que dans cinquante ans ce bucolisme banlieusard prenne des airs d’image d’Epinal. Un musée des beaux-arts dans un pays lointain, quelques touches de lumière dans un cadre, “Buttes du Parisis, 2017”.

Tu es où toi la dedans?
Pas loin de la Tour Montparnasse. Avec de bonnes jumelles et un peu de chance, peut être que je t’apercevrai.

On respire une après midi innocente, des gamins qui jouent avec leurs parents, des femmes voilées, des maillots du PSG, nos deux amoureux, des heures qui semblent paisibles à regarder la capitale, et nos commentaires urbanistes et post modernes sur ce grand foutoir de territoire. Je me laisse aller à écouter les discussions, à découvrir des yeux qui ne sont pas les miens.

Sur la butte d’Orgemont, agencée comme la précédente, la vue est encore plus folle. Paris d’Est en Ouest. La tour de la télé, mon treizième arrondissement, Montparnasse, le nouveau palais de justice - oui les perspectives s’écrasent à cette distance - la Tour Eiffel, la Défense... je te fais pas de dessins.

Au premier plan, les darses du port d’Aubervilliers. Des canaux creusés à partir de la Seine pour accueillir 1% du PIB de l’Ile de France sur des cargos venus de loin. Pendant les manifestations contre la Loi Travail, les copains de Nuit Debout et autres énergumènes plus téméraires que moi s’étaient mis en tête de le bloquer. Ca s’était fini en lacrymos et interpellations à la volée. Mais ca avait le mérite de rappeler que tout s’inscrit dans l’espace. Notre société, et l’économie qui la tient. Qui la tend.
Le port de Genevilliers, ses flux, ses marchandises, sa matière industrieuse, et derrière, la Défense. Une leçon de géographie économique, les flux de marchandises et les algorithmes qui les domptent.

Un moment en suspens, des index qui se pointent pour reconnaître des lieux, mais si là à gauche de la Tour pleyel, c’est la Basilique là. Et l’Ile Saint Denis elle est où? C’est quoi ces bâtiments bleu jaune rouge?

Je t’envoie quelques cartes postales, aussi amples que je peux. Tu me réponds d’un sourire, je te sens loin. Je t’ai dans la peau, et les bourrasques en haut de la butte te plaquent un peu plus contre moi.
Un vent pareil, à Marseille, ils disent en riant qu’il décorne tous les cocus de la ville. Ici, pas de cornes, mais une banderille qui se faufile dans le corazon.

L’égratignure d’un soleil, les courbes de la Seine.

Une vue pour deux, pour mille. Sans toi.